L
A P R I S O N
du
XXI ème siècle sera-t-elle
plus humaine ?
Enquête
: François Revouy - Journaliste
Rédacteur en Chef de l'Echo de la loire
Conception
Graphique de l'Echo de la Loire : Christine Fezay
Reportage-Photo : Jérôme Bernard-Abou
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832
détenus ont franchi les portes de la maison d'arrêt de la Talaudière
en 1998.
Pour
des peines qui théoriquement ne doivent pas dépasser 2 ans.
Malgré
les avantages continuels dont ils bénéficient depuis 1975, les
détenus sont toujours confrontés à un monde d¹une extrême dureté.
Etat des lieux à l'heure où le gouvernement planche sur le modèle
d¹une prison à visage plus humain.
"En
1860, les détenus de la prison de la Santé (Paris
XIVème, ndlr) avaient droit à l¹eau courante et à l¹éclairage,
rappelle Paul Louchouarn, directeur de la maison d¹arrêt de
la Talaudière, à l¹époque les habitants du quartier n¹avaient
ni l¹un ni lautre."
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La
loi du plus fort
La maison d'arrêt de la Talaudière date de 1968. Elle a été
agrandie en 1987. A l'aube du troisième millénaire, l'eau chaude
est toujours absente des cellules du bâtiment A. Les détenus
doivent aller aux douches, un seau à la main, ramener de quoi
faire leur vaisselle, dans leur cellule de 9m2. Une cellule
qu¹ils partagent avec leur co-détenu, qui sont parfois deux,
en raison de la surpopulation carcérale. Résultat, ils n¹ont
qu¹un surveillant par étage, soit un gardien pour quatre-vingt
détenus.
Les femmes et les mineurs ont plus de chance : un surveillant
pour quinze détenus. "Mais la nuit, il n¹y a pas de
surveillante dans le quartier femmes", explique Lynda,
en poste depuis dix ans à la prison. "Si il y a quoi
que se soit, elles ont l¹hygiaphone, si c¹est grave, la prison
nous réveille chez nous et nous venons voir". Les hommes
n'ont pas le droit de rentrer dans le quartier femmes.
La télé, les chaînes du câble ? Les prisonniers payent pour
les avoir. Certains passent même leur temps à regarder les images.
La nourriture ? Les familles n¹ont pas le droit de leur amener
le nécessaire. Ils ont la possibilité de cantiner, à condition
d'avoir de l¹argent et à condition de ne pas se faire racketer."Il
y a de la solidarité, mais en même temps il y a du racket...
", avoue un détenu. En prison c¹est toujours la loi
du plus fort.
Les indigents sont obligés de travailler pour pouvoir s¹offrir
le minimum. A l¹atelier, des entreprises leur font sous-traiter
une partie de leur production. Toujours un travail manuel, peu
qualifié et pas cher. Un détenu gagne 19 francs de l¹heure et
ne travaille pas plus d¹une demi-journée par 24 heures, au maximum
il peut se faire 1500 à 2000 francs par mois. "On peut
faire travailler au maximum 75 détenus", précise
le chef de service. "A une époque on avait beaucoup
plus de travail", rajoute son collègue plus âgé. Les
prisons sont actuellement concurrencées par les ateliers protégés
(travailleurs handicapés) qui proposent des tarifs très attractifs
aux entreprises, la mauvaise image en moins.
Les viols ? "Ils sont rares, insiste Paul Louchouarn,
en général, les détenus voient venir les avances, ils nous préviennent
par écrit et nous les changeons de cellules." Mais,
il y a bien en ce moment un détenu qui est jugé pour viol. Sa
victime était incarcérée avec lui, dans une cellule de
"moeurs". Les moeurs, dans le language pénitentiaire
on les applelent "les pointeurs". "On évite
de les mettre avec les autres détenus, ils se feraient abîmer",
explicite un surveillant. A la prison de la Talaudière, les
"moeurs" sont de plus en plus nombreux, près de 25%
des détenus. 25%, c'est aussi le pourcentage de procédures criminelles.
La sexualité des détenus n'est plus un sujet tabou, "C¹est
une question qui doit se poser, mais c¹est au politique qu'il
appartient de trancher", précise Guy Solana, directeur
des établissements pénitentiaires de Lyon (Rhône-Alpes-Auvergne).
"La région de Lyon, c¹est 4000 détenus dont 60% de prévenus
et 40% de condamnés, ce sont 20 établissements et 2000 membres
du personnel, dont 1600 surveillants".
Le sexe en prison fait son chemin. Le gouvernement
réfléchit de plus en plus à la mise en place d¹unités de vie
familiale, des chambres d¹amour, où les détenus pourraient rencontrer
leurs conjoints, à l¹abri des regards indiscrets. Egalement
dans les cartons ministériels, la perspective de douches en
cellules et l¹encellulement individuel. Finies les cloisons
à mi-hauteur en guise de toilettes. Finies les odeurs qui se
répandent dans la cellule, finis le bruit et les odeurs du co-détenu.
Deux décès
en 1999
Le Sida, ils en parlent peu. L¹administration pénitentiaire
ne rend pas obligatoire le dépistage. C¹est une démarche bénévole.
En 1987, six tests sur mille se sont révélés positifs dans les
prisons françaises, contre cinq sur mille pour l'ensemble de
la population. De toute façon, les surveillants prennent leurs
précautions : "les fouilles se font avec des gants suffisament
épais pour éviter les piqures", explique P. Girodet,
premier surveillant."Les surveillants ont pour consigne
de considérer les détenus comme autant de séropositifs",
renchérit le directeur. Des surveillants qui en ont parfois
marre d'être considérés comme des"gardiens", d¹être
réduits à une carricature de"mâtons" dans les films.
Ils aspirent à plus de reconnaissance. Certains voudraient faire
de la réinsertion, ils discutent avec les détenus quand ils
en ont le temps. Mais ils sont réduits à gérer des flux de personnes.
"A cause de la surpopulation carcérale, à cause du manque
de personnel, à cause du manque de moyens", résume
un peu amer, Yvan Brun, délégué GCT. Certains, au contraire
sont "dégoûtés par tout ce qu¹on donne aux détenus".
"Moi, je dois payer pour aller chez le coiffeur !",
lâche telle surveillante."Ils peuvent faire
de la musculation, aller à la bibliothèque, suivre des cours
de français, même voir le psy³, s¹indigne tel autre.
"Le surveillant qui est confronté à une situation déstabilisante,
qui s¹occupe de lui ? Le psy ne vient pas le voir !"
L¹incarcération n¹est pas sans conséquences sur l'équilibre
des détenus et sur leur capacité future à se réinsérer dans
la société. "Un enfermement long entraîne inévitablement
des séquelles psychologiques sur la personne, souligne Nadine
Besset, psychologue clinicienne au C.H.U. de Bellevue et à la
maison d¹arrêt de la Talaudière : dfficulté à se repérer
dans le temps et l¹espace, conduites violentes provoquées par
la sensation d¹étouffement, passage par un état de sidération
psychique lié au choc de l¹incarcération." Et
de rajouter : "il est assez fréquent que le détenu entre
dans une phase de dépression après son incarcération, en général
dans le mois qui suit son arrivée". L¹intervention
de psychologues, de cadres soignants, de travailleurs sociaux
extérieurs est d¹autant plus nécessaire "qu¹une réinsertion
réussie passe obligatoirement par la création et le maintien
d¹un réseau interne-externe", résume la psychologue.
Car, c'est là le paradoxe : on demande à la prison d¹exclure
temporairement un individu de la société, et en même temps,
on lui demande de le réinsérer dans cette même société ! (voir
article page suivante)
Les troubles pyschologiques nés de l¹incarcération peuvent induire
des infarctus : un détenu ligérien de 50 ans est ainsi décédé
de mort naturelle le 30 mai dernier. Mais ils peuvent aussi
conduire au suicide. En 1998, 118 détenus se sont suicidés en
France. A la Maison d¹arrêt de la Talaudière, il y en a eu une
dizaine en vingt ans. Le dernier remonte au mois d¹août 1999.
Un homme de 35 ans, incarcéré pour ³moeurs², s¹est pendu avec
un drap. Il avait déjà fait une première tentative. Il avait
toujours nié avoir commis ce crime atroce : brûlé vive une fillette.
L¹administration pénitentiaire n¹a pas prévu de s¹occuper du
surveillant qui l¹a dépendu.
François Revouy
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Qui
sont-ils ?
Détenus
de la maison
d¹arrêt
de la Talaudière
au
1er janvier 1999 *
Délit
Détenus
Homicide involontaire 23
Coups et blessures
22
Infractions stupéfiants 32
Homicide involontaire 11
Viol, attentat sur mineur 47
Viol, attentat sur adulte 34
Vols
qualifiés
17
Vols
73
Recels
12
Escroquerie
20
Divers
33
Total
324
*
Source :
Direction
de la maison
d¹arrêt
de la Talaudière,
octobre
1999
Au
premier janvier 1999,
la
maison d¹arrêt de la
Talaudière
comptait
324
détenus hommes,
17
détenues femmes
et
15 détenus mineurs.
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Réinsertion
: la prison en panne
C'est
la tendance forte de ces vingt dernières années : les magistrats
condamnent moins souvent les gens en prison. Ils privilégient
les mesures en milieu ouvert : sursis avec mise à l¹épreuve,
travaux d¹intérêt général, contrôle judiciaire, etc. Par
contre, ils sont plus sévères avec les condamnés : les peines
d¹emprisonnement sont plus longues et les libérations conditionnelles
moins fréquentes.
"La prison n¹est pas l¹endroit idéal pour faire de la
réinsertion", confie Yves Perrier, directeur du Service
pénitentiaire d¹insertion et de probation de la Loire (Spip).
Un constat qui explique pourquoi les peines d¹emprisonnement
diminuent régulièrement depuis vingt ans.
De
moins en moins d'incarcérations...
Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux du gouvernement de Lionel
Jospin, met actuellement la touche finale au texte du "programme
4000". Ce programme doit doter la France de six nouveaux
établissements pénitentiaires et de 4000 places supplémentaires
dès 2001. Ces cellules viendront s¹ajouter aux 50 014 actuelles.
Évolution du nombre de places dans les établissements pénitentiaires
*
*
Source : "Les chiffres clés de l¹administration pénitentiaire",
Direction de l¹administration pénitentiaire,
Paris, mai 1999.
"En
dix ans, nous sommes passés d¹une nécessité de 13 000 cellules
à 4 000", constate Paul Louchouarn, directeur de la
maison d¹arrêt de la Talaudière. En effet, au début des années
1990 le "programme 13 000" avait induit la
création de 25 nouveaux établissements, dont 3 sur la direction
régionale de Lyon.
Moins ambitieux le programme 4 000 ? Pas vraiment.
Si il y a toujours eu une surpopulation carcérale dans les prisons
(actuellement il y a 52 961 détenus pour 50 014 places), le
ratio a considérablement diminué depuis l'arrivée de la gauche
au pouvoir en 1981, comme le montre la courbe des incarcérations.
Pourquoi
une telle diminution ?
"Parce
que la prison a montré ses limites en matière de prévention
de la récidive", répond Yves Perrier, qui s'interroge
: "comment peut-on apprendre au détenu ce qu¹est la
Responsabilité quand on le déresponsabilise, quand on fait tout
à sa place ?" Ce que Paul Louchouarn formule plus
directement : "Est-ce que la prison est le meilleur
endroit pour apprendre à quelqu¹un à vivre? "La grande
difficulté quand on est amené à accueillir massivement des personnes,
comme c¹est le cas à Saint-Etienne, c¹est qu¹on est dans l¹exclusion
et dans le remplissage. On travaille dans l¹urgence : il faut
trouver les matelas, s'organiser pour les douches, les surveillants
y passent des matinées entières, les détenus ne peuvent se laver
que trois fois par semaine. On en vient à gérer une communauté
d¹individus d¹un point de vue strictement éconnomique. Cette
gestion terre à terre nous empêche d¹élever le débat."
La prise de conscience qu¹on ne "réinsere pas les
gens en les excluant", a, en tout cas, conduit
le magistrat français a prononcé moins d'encellulements et plus
de sanctions en milieu ouvert.
...Mais des
peines qui s'allongent
Les peines en milieu ouvert constituent l'alternative à l'incarcération.
Leur principal avantage est de maintenir le lien social. Il
s'agit des sursis avec mise à l'épreuve, des travaux d'intérêt
général, des libérations conditionnelles, des contrôles judiciaires,
des ajournements avec mise à l'épreuve. Ces mesures représentent
près des trois quarts des sanctions judiciaires nationales.
Dans la Loire, le ratio est encore plus fort : 8 personnes condamnées
sur 10 ne vont pas en prison.
"Paradoxalement,
souligne Yves Perrier, les peines d¹emprisonnement ont tendance
à s¹allonger." De 3 mois et demi en 1980, la durée
moyenne de l'encellulement est passée à plus 7 mois en 1999.
Ce qui signifie que les tribunaux sont plus sévères quand il
s'agit de condamner quelqu'un à l'encellulement. Une sévérité
que l'on retrouve d'ailleurs dans les décisions d'admissions
à la libération conditionnelle : "elles sont en chute
libre", regrette le directeur du Spip de la Loire.
C'est le juge d'application des peines (Jap) qui est maître
en la matière,"libre d'autoriser ou non les libérations
conditionnelles sans qu'aucune directive administrative ou politique
ne viennent l'influencer". Au cours de l'année
1998, les juges d'application des peines ont pris 5 098 décisions
d'admissions à la libération conditionnelle. 471 ont été révoquées
par la suite.
Dans le quartier des femmes de la maison d'arrêt de la Talaudière,
Laihla purge une peine de trois ans de prison. Mère de deux
enfants, elle ne pense qu'à une seule chose : le 24 décembre
1999, à mi-peine, elle sera conditionnable.
François Revouy
|
Incarcérations
en France Métropolitaine*
76 900 en 1969
96 900 en 1980
75 700 en 1997
*
Source : Service pénitentiaire d¹insertion et de probation
de la Loire, Saint-Etienne, octobre 1999.
Détenus
et personnes prises en charge par la justice en 1999 - Tableau
comparatif France Loire
France
* Loire
**
(1/01/99)
(1/05/99)
Milieu fermé
52
961 28%
384 18%
Milieu ouvert
131
367 71%
1656 81%
Total
184
328 100% 2040 100%
*
Source : "Les chiffres clés de l¹administration
pénitentiaire",
Direction de l¹administration pénitentiaire, Paris, mai 1999
** Source : "Présentation générale", Service
pénitentiaire d'insertion et de probation de la Loire, Saint-Etienne,
mai 1999
|
Témoignages
A
visage masqué, trois détenus ont accepté de nous faire part
de leur détention. Trois expériences fortes de l¹univers carcéral.
Karim,
24 ans, incarcéré pour récidive
"La
première fois, je suis tombé pour une affaire de drogue. On
m¹a pris avec 26 grammes. J'ai pris deux ans fermes. Attention,
je suis pas un criminel, jai été jugé en correctionnel ! Là,
je vais faire 16 mois pour violation d¹une interdiction de territoire...
La prison ? Je m¹attendais à pire. C'est vrai qu¹il y a des
barreaux, mais je ne voyais pas l'état des lieux comme ça. Moi,
je suis assez libre. Je suis classé "servant", je
distribue les repas. Dans le bâtiment A nos cellules font 9,36
m2, c¹est tout petit. Les mecs du bâtiment B, ils ont plus de
place : 12 m2. Et en plus ils ont l¹eau chaude dans les cellules.
Pour la plupart, il sont des indigents, ils n¹ont pas de fric.
il y en a, personne ne vient jamais les voir... Je suis conscient
de mes actes. C'est le vice qui m¹a conduit ici. C'est à force
de prendre le vice... Ici, le respect il est sur tous les niveaux.
Avec les gardiens, il n'y a pas de problèmes. Les surveillants,
ce sont pas eux qui nous ont jugés. Ceux qu¹on déteste ce sont
les juges qui nous ont incarcérés, parce que la liberté, il
nous la prive... En prison, la fraternité il n'y en a pas.
Jean-François,
47 ans, incaréré pour affaire de moeurs
"Je savais que la prison c'était tout sauf la liberté,
que la contrainte était énorme. Au début c'était très dur pour
les enfants, pour mon épouse... L'univers carcéral est plus
dur que l'extérieur. D'abord parce qu'on se retrouve en milieu
fermé, ensuite parce qu'on est avec des gens qui n'ont pas les
mêmes horizons que soi. Entre détenus il n'y a pas de respect.
Si on commence à être connu, ça passe mieux. Ce qu'il faut c¹est
exercer une responsabilité dans la prison... Celui qui a un
problème de moeurs, c''est le mal-aimé. Il a intérêt à se méfier.
Mais pour celui qui a tué un enfant, une femme, ou un vieux,
c¹est encore pire, ça ne passe pas. Il y a cinq cellules d'isolement...
Du racket ? Bien sûr, il y en a. Les petits chefs des quartiers,
on les connaît... Une remise de peine normale c'est 7 jours
et demi par mois. Quand on travaille, on a droit à 2 jours et
demi supplémentaires par mois travaillé, ce qui fait un mois
de plus à la sortie. En tout, je devrais avoir 5 mois de remise
de peine. Au lieu de 36 mois, j'en ferai que 27, en principe...
C'est impossible ici de faire de la réinsertion, surtout pour
ceux qui viennent du bas. L'année passée il y en a un qui a
réussi son bac pro. Les trois quarts des détenus sont illétrés...
Est-ce que la prison est inhumaine ? Oui, elle l'est. C'est
l'ensemble du système qui l'est. Il faudrait tout changer. Toute
la justice..."
Laihla,
34 ans, incarcéréé pour recel
"C'est la deuxième fois que je suis incarcérée, la première
fois, c'était en tant que prévenue en 1995. J'ai obtenu une
libération provisoire en 1996 jusqu'à mon procès en assise,
en juin 1999. J'ai été condamnée à une peine de trois ans pour
recel. J'étais avec mon ami, il me faisait des cadeaux, il avait
dérobé 1 milliard 200 millions dans une entreprise de la région.
Il a pris 18 ans, il est à Fresnes (Val-de-Marne, ndlr). Pendant
les trois ans de liberté provisoire, j'ai refait ma vie avec
un autre homme. J'ai préparée mes deux filles (16 ans et 9 ans)
à mon possible retour en prison. C'est ça que je vis le plus
mal, ne pas avoir mes enfants avec moi... Je les vois une fois
par semaine, le mercredi, le jour des visites. C'est mon frère
ou ma belle-soeur qui les amène. En plus, tous les quinze jours,
je peux passer trois quarts d'heure avec elles dans la pièce
du relais parents-enfants. C'est court. C¹est surtout l'adolescente
qui vit mal mon incarcération... Mon ami vient tous les samedis...
La drogue ? Bien sûr qu'elle rentre. Les détenus l'avale, les
filles se la mette dans le vagin.... Le coiffeur vient une fois
par semaine, la coupe est gratuite, la couleur payante. Je fais
seulement la coupe... C'est une bonne détention, les filles
ne sont pas nombreuses. Il y a des dames d'un certain âge qui
ont tué leur mari... En prison, on peut rester féminine mais
on n'a pas d¹intimité. On apprend à être patiente, à attendre,
à passer par des intermédiaires... Ce que je n¹accepterais pas,
c'est de sortir et qu¹on ne me rende pas mes gosses, ça non,
je ne l¹accepterais pas !"
Propos recueillis par François Revouy
|
"Ici,
quand on arrive on a rien.
On
attend tout de l'assistante sociale.
Il
y a juste une solidarité entre les mecs qui viennent du même
quartier.
Quand
il y en un qui rentre, je lui fait un ballot...
Tout
ce qu'on a ici, ça ne vaut pas la liberté."
Plus
de mineurs
Si la durée moyenne de détention se réduit, de 5 mois et
quinze jours en 1997 elle est passée à 4 mois et 14 jours en
1999, le nombre moyen de détenus continue de croître : de 348
en 1997 à 351 en 1998 et 372 en 1999.
Surtout
le nombre de mineurs incarcérés explosent : 60 en 1998 contre
77 l'année passée, soit près de 30% de hausse.
Parmi
ceux-ci, beaucoup sont récidivistes.
"La
prison est un passage initiatique, explique une psychologue
des mineurs, elle fait du prédélinquant un vrai délinquant".
|
Prison,
le mur du silence ?
L'écho de la Loire avait déjà consacré un large sujet à la maison
d¹arrêt de la Talaudière (n° 113). Précurseurs, nous vous avions
fait vivre de l'intérieur le monde carcéral. Un monde aujourd'hui
sous les feux de l¹actualité. La polémique est née du livre
du docteur Vasseur, médecin chef à la prison de la santé. Sept
ans après être entré à la Santé, le docteur Vasseur a écrit
un brûlot qui dénonce les conditions d'hygiènes et les violences
dont sont victimes les détenus. Résultat : une commission d'enquête
parlementaire a vu le jour pour faire toute la lumière sur les
conditions de vie des prisonniers. Retour à l'UCSA, l¹unité
de soins de la prison de la Talaudière
"Si je m'en tiens à ce que j'ai entendu, les
détenus se font violer quotidiennement et les vermines grouillent
dans les couloirs". Paul Louchouarn, directeur de la
maison d'arrêt de la Talaudière a le verbe ironique. En quatre
ans, il n'a eu que "quelques d¹affaires sérieuses à
déplorer" : un viol, une tentative de viol et quatre
suicides. Pour l¹année 1999, il est intervenu pour 400 infractions
disciplinaires, dont 101 pour échanges de coups. Rien à voir
avec des difficultés rencontrées à la prison de la Santé.
Promiscuité...
"Le principal problème que nous rencontrons ici, c¹est
le manque d¹effectif. Dans le bâtiment A, nous avons un surveillant
pour 80 détenus ! Nous ne pouvons pas tous les surveiller,
ni être tout le temps à leur écoute, encore moins faire de la
réinsertion", avoue Paul Louchouarn.
La capacité d'accueil de la prison stéphanoise est de 283 personnes.
"Mais nous avons régulièrement 350 détenus",
explique-t-il. La promiscuité aidant, les risques de dérapages
et de règlements de comptes entre détenus, mais aussi entre
détenus et surveillants, augmentent. "Au-delà de 380
cela devient ingérable, on doit demander le transfert des prisonniers".
Le 23 février, il y avait 366 prisonniers dans les cellules
foreziennes. Un chiffre qui devrait augmenter rapidement puisque
100 détenus doivent être désencombrés des prisons lyonnaises.
"J¹ai dit à la direction régionale que nous pouvions
en accueillir quelques uns... avant de demander nous-même à
être prochainement désencombrés." Une gestion
à flux tendu qui rend difficile, voire impossible la mission
de réinsertion. "Le livre du Dr Vasseur soulève des
questions assez justes, insiste le directeur de la prison,
il replace le débat sur les vraies missions de l¹administration
pénitentiaire : la garde et la préservation de l¹intégrité
des détenus."
La
prison de Saint-Etienne, la seule en activité dans la Loire
depuis que celle de Roanne a fermé, existe depuis trente ans.
Les établissements français les plus récents remontent à une
dizaine d¹années (programme 13 000). 4 000 places supplémentaires
dans dix nouveaux établissements devraient voir le jour prochainement.
Un parc jugé insuffisant en regard du nombre de prisons qui
datent de Mathusalem :"Assumer notre mission dans des
établissements construits à la fin du XIX ème siècle relève
d¹un challenge permanent".
A
la Talaudière, les escaliers du bâtiment A sont en bois, limite
question incendie !... et l'eau chaude est absente des cellules.
Les détenus doivent aller aux douches,un seau à la main, pour
tirer de quoi faire leur vaisselle. Une corvée pour le gardien
qui doit accompagner chacun d'entre eux, un par un. Alors quand
certains orateurs, peu avisés de la réalité pénitentiaire, parlent
de douches en cellules, ici on rigole. On a même du mal à prendre
au sérieux les unités de vie familiale, ces fameuses "chambres
d'amours", où le détenu pourra recevoir son conjoint.
Il
n'y a pas la place pour la construire... Quelle est la solution
? La privatisation ?
Il
existe 21 établissements en France qui fonctionnent en délégation
de gestion (hors garde, greffe et direction) avec des partenaires
privés."Dans ces établissements on fait de la maintenance
préventive, souligne Paul Louchouarn, on provisionne
les investissements en matériels et on change d'un coup toute
une gamme de matériel (ampoules, etc)". Un fonctionnement
qui prévient toute décrépitude : On peut regretter que les
moyens alloués aux partenaires privés ne soient pas réinjectés
au public", conclut-il. Une question qui n'a pas fini
de soulever des polémiques.
"On
pourrait améliorer le traitement médical..."
En 1999, la maison d'arrêt de la Talaudière a accueilli plus
de 1000 "entrants". Chaque détenu est vu trois
fois : une fois par le service médical (dans les 24 heures),
une seconde fois par les travailleurs sociaux et une troisième
fois par la détention. Au cours de la peine, le détenu peut
consulter le médecin sur simple demande.
Une
vingtaine de personnes travaillent actuellement à l'UCSA, l¹unité
de consultation et de soins ambulatoires de la maison d'arrêt.
L¹UCSA ne dépend pas de la prison, mais du CHU, sous la responsabilité
du professeur Bertrand. "Il y a deux infirmiers et une
secrétaire en permanence", insiste Evelyne Oziol, cadre
soignant. Malgré les risques, aucun agent du CHU n'a été agressé
: "On est là pour les soins, les détenus le savent."
L'UCSA, c'est presque un espace de liberté. Presque, car un
surveillant est là, à côté de la salle de consultation, prêt
à intervenir. Parfois même, il se tient dans l'entrebâillement
de la porte.
A l'UCSA, il y a 8 vacations de généralistes, 3 de psychiatres,
6 de psychologues. Mais il y a aussi des consultations en dermatologie,
en vénérologie, en stomatologie, en radiologie, en toxicomanie,
en dentisterie et en kinésithérapie. "Nous avons le
même matériel que les cabinets de consultations des médecins
spécialistes.", se félicite Evelyne Oziol. Le dépistage
de la tuberculeuse est systématique au travers d¹une radio pulmonaire.
celui de l¹hépatite (B et C), du Sida et de la Syphilis est
laissé à l'appréciation des détenus. En 1999, 412 ont accepté
de se faire dépister. Les traitements substitutifs au Subutex
ont représenté 2951 intervention, ceux à la Méthadone, 899.
Seul fait défaut un matériel d'ophtalmologie. Aucune comparaison
avec les prisons parisiennes comme la Santé, ou les prisons
vétustes de Lyon et de Marseille.
Pour le directeur du service d¹urgence du CHU, le comportement
du personnel soignant est très différent de celui du personnel
pénitentiaire :"Les détenus se confient très volontiers
à nous parce que tout ce que l'on peut nous dire n¹arrive jamais
aux oreilles de l¹administration pénitentiaire. Nous sommes
soumis au secret professionnel" . Pour autant, l"UCSA
ne déplore pas d'affaires vraiment graves. Il y bien des traces
visibles, "des portes que les détenus se prennent",
mais elles ne font pas l'objet de certificats médicaux. Comme
cette histoire : "un gars qui a cassé une assiette sur
la tête de son co-détenu pour une chaîne de télé, un soir
de match"... et puis il y a toutes les traces que l'on
ne voit pas. Ce que l'on appelle, en langage pénitencier, le
"chiffre noir". On l¹estime entre une à deux affaires
par semaine.
En 1999, l'UCSA a réalisé 726 soins infirmiers, 430 sérologies,
128 examens, 253 injections et 264 prises de sang. Les infirmiers
ont rempli 41 certificats médicaux qui englobent des coups et
blessures. Les causes restent obscures. En prison, la loi du
silence s¹impose toujours.
"On
pourrait améliorer le traitement médical", poursuit Jean-Claude
Bertrand. A la maison d¹arrêt de la Talaudière, il n'y a pas
assez de surveillants pour accompagner les détenus à l'UCSA.
"On nous dit que le détenu ne veut plus venir, qu'il
est au parloir, qu¹il fait du sport ou qu'il est en promenade...et
nous sommes dans l¹incapacité de vérifier". Un manque
d¹effectifs qui empêche parfois les extractions de se réaliser
: "il faut un brigadier et deux surveillants pour accompagner
un détenu à l¹hôpital. Il n'est pas rare qu'on reporte l'extraction
à la dernière minute". La nécessité de l'acte thérapeutique
reste pourtant la même.
Malgré ces difficultés, le professeur Bertrand estime qu'à Saint-Etienne,
"on a pas trop à se plaindre." Et de raconter
cette anecdote au sujet d'un prisonnier transféré à Saint-Etienne
: "Comparé aux Beaumettes, !ci c'est une maison de repos
!"
La commission parlementaire sur les conditions de détention
va peut être pousser l'Etat à injecter des fonds dans les établissements
pénitentiaires. Et assurer ainsi une meilleure prise en charge
des détenus.
Un premier
pas vers la réinsertion ?
François Revouy
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234,56
francs
234,56 francs (1 jdd).
C'est
ce que coûte chaque jour un détenu de la maison d'arrêt de la
Talaudière à l'administration pénitentiaire.
L'établissement
compte 127 952 jdd. ce qui représente un budget annuel de 30
millions de francs.
Il
est couvert pour 23,6 MF (78%) par les frais de personnel, pour
un million par les dépenses d'énergie, pour un autre million
par l'entretien des locaux et pour deux millions 2 millions
à l'entretien des détenus.
Dans
ces chiffres ne figurent pas les amortissements.
A titre de comparaison, le coût d'un jour de détention s'élève
à :
270
F à Grenoble,
300
F à Clermont-Ferrand,
280
F à Chambéry,
376
F au Puy-en-Velay,
453
F à Montluçon
ou
encore 348 F à Villefranche.
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