Police
Saint-Etienne
est-il assez " fliqué " ?
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Enquête
: François Revouy - Journaliste
Rédacteur en Chef de l'Echo de la loire
Conception
Graphique de l'Echo de la Loire : Christine Fezay
Reportage-Photo : Jérôme Bernard-Abou
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"Aucun
quartier
ne
nous est Interdit
"
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B.A.C.
Cynophile
Police-Secours
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De
l¹aveu des plus hautes autorités, il y a plus de délits commis
la nuit à Saint-Etienne qu¹en journée.
Pourtant,
après 21 heures, à peine vingt policiers assurent la sécurité
des rues de la capitale forezienne.
Deux
équipes de la BAC, une de la cynophile, deux de Police secours.
De
quoi frémir, qu'en on songe qu¹en moyenne une voiture brûle
tous les soirs à Montreynaud...
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C'était
il y a un an. "Jeannot Correia", policier de la brigade
anti-criminalité décédait des suites d'un "accident",
consécutif à une poursuite sur l¹autoroute A 47. Sa voiture, percutée
voilement par des cambrioleurs en fuite, sortait de la route à
hauteur de la Chabure à Saint-Chamond. Le 17 février 2000 à 14
heures, une minute de silence a été respectée en son honneur dans
les locaux du commissariat central de Saint-Etienne. Dans le classement
du ministère de l¹intérieur, la Loire figure en 26ème place des
départements les plus sensibles.
"Nous portons sur nos épaules tous les malheurs de la société",
lâche le lieutenant de police Bailleux, entre deux chasses-poursuites.
La délinquance de voie publique, il connaît, il la côtoie tous
les jours au sein des unités spécialisés. Parmi elles, la Bac,
la Canine, la section d'intervention, la BSO, la brigade de
soutien opérationnel.
La BAC, c'est de loin la section la plus exposée. Ses hommes
chassent le flagrant délit. En voiture banalisée. Pas
des BMW, ni des Mercédes. Des Peugeot et des Citroën, comme
monsieur tout le monde. Difficile de rattraper les bolides flambant
neufs des cambrioleurs... Mais pour la petite délinquance ça
suffit. "Ceux qu¹on attrape sont de plus en plus jeunes",
explique le major d¹astreinte ce soir-là. "On déplore surtout
des vols dans les garages...les auteurs agissent de plus
en plus de manière isolée... mais on réalise quand même cinquante
interpellations par mois". A Saint-Etienne, il n'y
a pas de bandes organisées, pas de mafias, comme à Lyon ou à
Grenoble. Pas de proxénétisme non plus. Une ville calme
? Presque, s'il n'y avait pas la violence urbaine et les gitans
qui viennent faire des cambriolages. De toute façon, "aucun
quartier ne nous est interdit !, insiste le major, quand il
faut monter à la Romière pour aider les collègues du Chambon-Feugerolles,
on y va'. A Montreynaud, la BAC procède parfois à des interventions
musclées. Comme au bar Les Feuilles mortes, où elle a récemment
effectué un contrôle d'identité avec... fusils à pompes.
Jean-François vient de Grenoble. Un jour il a fait une grosse
prise de drogue, "par hasard, en regardant quelqu¹un qui
avait l'air louche.
Il paraît
que ça se voit, quand on a quelque chose à se reprocher. "La
chance, il faut en avoir...mais ce qui nous aide le plus c¹est
notre instinct, l¹instinct du chasseur". Coïncidence
ou pas, Jean-François est un ancien militaire, comme son lieutenant.
³ca nous sert, mais ce n'est pas indispensable pour servir à
la BAC". La conduite sportive, il l'a appris à Nantes,
sur le circuit Sela à Fay-de-Bretagne. C'est indispensable quand
on est amené à rouler à 180 Km /h sur autoroute.
Les policiers restent à la brigade anti-criminalité au maximum
six ans, après ils intègrent le SIR (Service d¹investigation
et de recherche) ou prennent du grade dans les bureaux. A la
brigade cynophile, ils restent plus longtemps. Les chiens sont
réformés au bout de huit ans", explique le brigadier-chef
Portera. La canine, comme les policiers l'appellent également,
comprend neuf chiens, dont Olaf, le "chien stup".
Ils travaillent par équipes de trois. Deux équipes tournent
de 13h à 21h30, relayées par deux autres équipes de 21h jusqu'à
5h30."Sans les chiens il y a certains contrôles d'identité
qu¹on ne ferait pas. Ils calment tout le monde".
Avant, la BAC s¹appelait BSN, elle ne travaillait que la nuit.
Mais il faut s¹adapter, la délinquance se commet de plus en
plus au grand jour, l¹après-midi. "A la BAC, nous sommes
tous volontaires. Nous passons des tests psychologiques. Nous
devons avoir une bonne connaissance policière. Surtout il faut
être très pointu en procédure", insiste le lieutenant Bailleux.
Signe des temps, le droit a envahi la sphère policière. Et la
réforme de la justice ne va pas aller en simplifiant les choses.
Les spécialistes du "saute-dessus", comme ils se définissent
eux-mêmes, ne sont pas astreints à la procédure judiciaire :
"dès que le PV d¹interpellation est établi, mes gars repartent
sur le terrain", explique le commandant Comeau."Les
PV d'interpellation ne doivent pas prêteer matière à interprétation",
insiste pour sa part, le capitaine Moisset de l'unité de quart.
L'unité de quart, c'est un peu comme e les urgences de l'hôpital
: "Tout passe par nous, quand la salle prend un appel (le
17, ndlr), elle prévient l'officier de quart qui fait le tri.
Après les interpellations, c'est encore le service de quart
qui dispatche les affaires en fonction des infractions".
En 1999, l'unité de quart a géré 900 gardes à vue, soit
une moyenne de 60 à 80 par mois. Elle a également réalisé une
centaine d'enquêtes décès.
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Une
police de proximité pour plus de prévention
Depuis le 1er décembre 1999, les services de l'Opac de Saint-Etienne
(qui gèrent 7100 logements) ont mis en place, dans les quartiers
les plus sensibles, un service de surveillance constituée de trois
équipes de deux personnes. On les reconnaît à leur blouson
rouge fluorescent, la mention "présence de nuit" inscrite
en larges lettres grises dans le dos. Ce ne sont pas des policiers,
encore moins des médiateurs, plutôt des gardiens, qui tournent
dans les gages d'escaliers, sur les parkings, aux abords des immeubles
pour sécuriser les habitants. Un service payant. "On commence
simplement à se rendre compte que l'on aurait jamais dû renoncer
aux concierges... ", explique le commissaire de Police Cour.
André Cour est chargé de la mise en place de la Police de proximité
à Saint-Etienne : "à une police d'ordre, mobilisée surtout
pour la défense des institutions et de la société, le gouvernement
à voulu substituer une police plus soucieuse du citoyen et de
ses attentes." L'objectif assigné est triple : anticiper
l'évènement, connaître son territoire en y étant connu et reconnu,
et répondre aux attentes de la population. La carte policière
de Saint-Etienne a donc été revue, et neufs bureaux de Police
de proximité ont été identifiés. Mais un seul est vraiment opérationnel
: Le BP 7, celui du centre ville. Il regroupe neufs secteurs :
Crêt de Roch, Chavanelle, Hyper-centre, préfecture, Jacquard,
Courriot-Tarantaize-Beaubrun, Colline des pères, Badouillière
et Saint-Roch. Actuellement 22 personnes y sont affectées. Un
chiffre insuffisant pour couvrir convenablement tous les quartiers
: "Parmi les gardiens de la paix, certains sont affectés
exclusivement au judiciaire et à la prise de plaintes. Pour la
voie publique je dispose seulement de six fonctionnaires. j'ai
donc défini des priorités, à savoir fidéliser deux équipes sur
l'Hyper-centre et deux autres sur Beaubrun-Tarentaize. Dans ce
dernier cas, une équipe de plus ce ne serait pas du luxe",
explique le capitaine Crépet, responsable du BP 7. D¹ailleurs,
sur l'ensemble de la ville, ce sont prêt de 57 gardiens de la
paix qui font défaut... les 48 personnes actuelles ne couvrent
même pas les départs en retraites, quant aux ADS, ils se sont
pas assermentés. Tous ne réussiront pas le concours, et ceux qui
l¹auront seront envoyés ailleurs... (voir enquête Emplois jeunes
dans l¹Echo de la Loire, n° 104).
Les bureaux de police de proximité ferment leurs portes à 21 heures
: "au-delà ce n¹est plus de la prévention, c'est de la sécurisation",
souligne le directeur départemental de la sécurité publique, le
commissaire divisionnaire Bilhère-Dieuzeide. Selon lui, la police
de proximité participe d¹une "nouvelle culture policière/.
Elle nécessite une réforme de l'organisation, voire un changement
des mentalités".
Seulement vingt policiers du service de voie publique sont présents
la nuit dans les rues de Saint-Etienne. Bien peu de monde pour
appréhender tous les "sauvageons", selon la terminologie
chère à Jean-Pierre Chevènement. Mais est-ce vraiment l'objectif
? Faut-il vraiment plus de flics dans les rues ? Il n¹est pas
certain que le c¦ur du problème soit là. D¹une part, parce que
la réponse la plus dissuasive est peut-être à trouver du
côté de la justice (voir l'article pages 10-11 sur la prison),
ensuite parce qu'il appartient à tous d'aider la police. Comme
le signale le commandant Comeau des unités spécialisés : "A
quoi servent plus de policiers, si les gens ne témoignent pas
le moment venu ?" La sécurité serait-elle redevenue l'affaire
de tous ?
1-"Sans les chiens il y a certains contrôles d'identité qu¹on
ne ferait pas. Ils calment tout le monde", explique le brigadier-chef
Portera, responsable de la brigade cynophile. Neuf chiens travaillent
sur la voie publique dont un, Olaf, spécialisé dans la recherche
de stupéfiants.
2-"Parmi les gardiens de la paix, certains sont affectés
exclusivement au judiciaire et à la prise de plaintes. Pour la
voie publique je dispose seulement de six fonctionnaires. j'ai
donc défini des priorités, à savoir fidéliser deux équipes sur
l'Hyper-centre et deux autres sur Beaubrun-Tarentaize", explique
le capitaine Crépet, responsable du bureau de police du centre
ville...le seul où le dispositif "Police de proximité"
est testé.
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Une
nuit avec la B.A.C.
Vendredi 21h00. Dans les bureaux de la BAC
au 99, cours Fauriel. Prises d¹ordres, avant de partir en mission.
Les policiers sont reliés par radio, indétectable au scanner,
à la salle de commandement et d'information (le 17).
00h30. Après une intervention pour vol à la
roulotte à la Métare, la radio prévient qu¹un individu menace
le patron de la discothèque l¹Embrasy avec une grenade à plâtre.
Les pneus crissent et le copilote branche le gyrophare, direction
centre ville.
2h30. Place Jean Plotton, deux individus sont
interpellés suite à un appel d¹un requérant pour vol par effraction
sur une voiture.
3h00. Contrôle en règle de la brigade cynophile
et de la BSO à Montreynaud. Pendant que trois policiers fouillent
les jeunes, mains au mur, les maîtres-chiens surveillent à distance.
Lorsqu'ils tentent de se rebeller, les policiers lancent leurs
chiens, muselés. Tout le monde se clame très vite, malgré les
insultes.
4h00. Après une course-poursuite, deux voleurs
à la roulotte sont interpellés dans le centre-ville. Conduits
au commissariat central, ils subiront le test de l'éthylomètre,
avant d'être fouillés et envoyés au trou pour cuver leur alcool.
Les deux mineurs seront relâchés le lendemain, à l¹issu de la
garde à vue, non que le procureur n¹ait été averti.
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Matches
de foot : nuits agitées
La section
d¹intervention assure la sécurité aux abords et à l'intérieur
du stade Geoffroy Guichard, lors du match Saint-Etienne-Montpellier.
Deux supporters de Montpellier seront agressés en regagnant
leurs véhicules. Arrivés à quinze, les Montpelliérains ont copieusement
insulté les quinze mille supporters de l'ASSE durant toute la
rencontre. Un petit groupe d'entre eux n'ont pas appréciés et
ont réglé leur compte à coup de poing américain, sitôt le match
fini.
Après le match, la BAC de nuit intervient à Saint-Priest pour
aider une jeune femme en train de se faire violer par deux de
ces copains, à moitié ivres. Tout le monde se calme et se rebraille.
Accident sur l'autoroute en quittant le stade. Les policiers
préviennent les CRS de la sécurité autoroutière. Moins de cinq
minutes plus tard, ils seront présents sur les lieux.
Constatation de dégâts dans un magasin de la rue des Martyrs
de Vingré. Les cambrioleurs ont défoncé la vitre à coup de masses.
En moins de cinq minutes ils ont chargé leur véhicule et pris
la fuite, au nez et à la barbe des voisins. Seul un jeune homme
a prévenu la Police. La Bac, présente place du peuple au moment
de l'appel, ne pourra pas rattraper les voleurs...
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Montreynaud
: entre mythe et réalités
A l'heure où Martine Aubry lutte contre la discrimination raciale
à l'embauche, le délit de faciès cède peu à peu la place au
délit de quartier. A Saint-Etienne, les jeunes de Montreynaud,
maghrébins ou non, souffrent d¹un déficit d'image... et d'emploi.
Le chômage touche tout le monde : les "sans qualification"
comme les plus diplômés. Se sentant exclus de la société, certains
n'hésitent pas à passer à l'acte. Entre révolte et dés¦uvrement
S'ils se sentent aussi bien arabes que français, les jeunes
"beurs" reprochent à la société française de ne pas
les comprendre et de rejeter leur culture étrangère. Un grief
à l¹intention des policiers notamment : "Ils nous empêchent
de nous réunir les soirs d'été, autour d'un
barbecue, sur la place, dans la rue, comme au pays. " Choc
des cultures ? Certains sociologues font remarquer que l¹intégration
des populations maghrébines à la société française se fait très
vite, beaucoup plus vite que celle d¹autres nationalités d¹immigrés
: "C'est la première fois que la France absorbe tant de
gens aussi rapidement". Une intégration sur fond de crise
de structures de la société française. Avec deux écueils
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"Ils
se croient à Jurassic Park"
"Montreynaud
c'est pas un quartier, c'est une ville. Sorbiers à côté c'est
un rond-point!"! Une ville, donc, qui n'a pas
de maire et dont le député, Gérard Lindeperg, brille par son
absence : "Il passe une fois par an, et puis voilà il est
débarrassé. Jean-Pierre Philibert, lui, il venait plusieurs
fois dans l'année", renchérit Hocine. Et d"ajouter
: "les politiques de gauche ils croient que parce qu¹on
habite Montreynaud nos votes leur sont acquis... ils risquent
d¹avoir des surprises. " Mais à Montreynaud, peu
de jeunes vont voter, ils sont "trop dégoûtés." Leur
quartier, tout le monde en a une mauvaise image. les médias
en font un haut lieu de la violence urbaine, au même titre que
la Cotonne, Montchovet, ou le Crêt de Roch à Saint-Etienne,
mais aussi la Romière au Chambon-Feugerolles, et la Goutte Marcellin
à Roanne.
Et c'est vrai que les rapports jeunes policiers ne sont pas
au beau fixe. Méfiance, incompréhension, insultes sont le lot
quotidien de la population et des forces de l'ordre. Un mur
de "la honte" s'est construit progressivement au fil
des années : "Il faut ouvrir le quartier et donner
du boulot aux jeunes, insiste Driss, ici il y a trop de chômeurs,
les jeunes font n¹importe quoi...Les flics, eux, ils montent
, ils provoquent...Et la mairie ne fait rien."
Un raccourci rapide ? Les faits sont là. Et ne plaident pas
forcément pour Montreynaud. "En moyenne c'est une voiture
qui brûle tous les soirs, révèle un pompier excédé, ils mettent
le feu pour qu'on intervienne ,et ensuite ils nous jettent
des pierres...il y a même des anciens qui nous appellent pour
nous prévenir : attention, c'est un piège !". Autant
de faits que la Police ne divulgue pas, autant d'incendies volontaires
que le quotidien local ne relate même plus. "C'est rentré
dans les m¦urs", résume cette habitante de la place
Cosma, en haussant les épaules, un rien blasée.
La BAC, la brigade anti-criminalité, tourne toutes les nuits.
Une provocation pour les jeunes du quartier : "A 3 heures
du mat, ils mettent les sirènes. Ils réveillent tout le monde.
C'est des vrais cow-boys", raconte un jeune homme qui vient
de se faire "siffler" par une voiture de Police. "Les
gendarmes, c'est différent, ils te disent Bonjour Monsieur,
ils te demandent poliment tes papiers. Les flics, ils nous fouillent
devant les boîtes de nuit, au Sphinx, au Bowling... ils gardent
le sheet.... L'autre soir, à Beaubrin, ils ont fouillé des pères
!" La famille c¹est sacré. Beaucoup de ranc¦ur filtre
de leurs propos.
Derrière cette insécurité latente se cache un mal-être profond.
Les moins de 25 ans représentent près de la moitié
des 10 250 habitants du quartier (entre 41 % et 53 % selon les
différents secteurs). "23% des jeunes sont au chômage,
contre 15% seulement pour l'ensemble de la ville de Saint-Etienne",
note Robert Karulak, correspondant de la mairie pour Montreynaud.
2 299 familles perçoivent les allocations familiales (40 000
sur l'ensemble de la ville) et 418 personnes bénéficient du
RMI (4 412 pour tout Saint-Etienne). Le taux de chômage pourrait
bien augmenter dans les années à venir car le quartier se vide.
D'après le dernier recensement, Montreynaud aurait perdu 3200
habitants par rapport à 1989."Sur les 2390 logements
sociaux que comptent le site, 692 sont actuellement vacants",
insiste l'élu stéphanois.
Parallèlement l'animation est au point mort : deux boulangeries,
deux débits de boissons. Pour 10 000 âmes, c'est un peu juste.
"Le 42 ne vient plus, on doit aller le chercher en ville"
, peste un vieil homme, assis dans un coin du bar Les Feuilles
mortes. "Il y a relativement peu d'associations",
poursuit Robert Karulak. Trente, à peine. Il y a
pourtant une forte demande de la part des jeunes. "La mairie
finance une association, le Cosme, qu'elle veut voir se développer
et tout régenter ici,...et c'est toujours les mêmes qui travaillent",
se plaint Hocine. Côté municipalité, on renvoie la balle dans
le camp des jeunes : "Ils veulent des associations, mais
ils ne sont pas prêts à s'investir. On a du mal à trouver des
volontaires, des bénévoles. Qu'ils viennent nous voir, on les
aidera. " Robert Karulak passe à peu près bien auprès
des jeunes. Mais la mairie, dans son ensemble, est fustigée
: "Un jour ils ont fait le tour du quartier en car, pour
visiter. Ils nous regardaient derrière leurs vitres... Ils se
croyaient à Jurassic Park!", s'énerve Kamel. "Le maire,
c'est un capitaliste. Il est prof d'anglais... qu¹il retourne
à son école. Son livre, je l'ai lu, je l'ai jeté à la poubelle",
renchérit Boualem.
Boualem, c'est Raimu au pays de Pagnol. Il aime la nature, il
la transpire. "J'habite Montreynaud depuis 14 ans. Je vote
depuis l'âge de dix-huit. Pour la liste "beur". Ici
on a tous un savoir, un potentiel (...) Il ne faut pas juger
les jeunes, la haine ça se travaille, elle s'enlève. "
Boualem impressionne. Au milieu d'un discours de haine et d'incompréhension,
il se fait conciliant. Il professe des leçons de choses, des
leçons de vie. Tout le monde ne l'écoute pas. Chacun son rôle.
Une certitude : "si on n'était pas solidaire les uns des
autres, ça serait comme en Corse". Sa passion, c'est
la peinture. Il se dit Artiste, peintre animalier. "Je
suis mieux reconnu en Belgique que dans ma ville" . Et
de reconnaître : "j'ai de la chance, c'est la nature qui
m'a guidé".
La
zone franche, ou l'échec de la République
A Montreynaud, comme ailleurs, les jeunes comptent sur le piston
pour trouver du travail. C'est comme ça que Farid a obtenu son
emploi jeune. "Je connais plein de potes qui ont fait des
demandes, comme moi.. ils ont été recalés parce qu'ils ne connaissaient
personne".
Mais c'est surtout la mauvaise réputation du quartier qui nuit
à ces jeunes demandeurs d'emplois. Kamel est titulaire du DESS
de gestion de production de l'Université de Montpellier. Sa
maîtrise d'économie, il l'a obtenue à Saint-Etienne. "J'ai
le niveau ingénieur. Dans un bassin fortement industriel comme
la Loire, je pensais que je trouverais facilement du travail.
Mais non, rien." A l'exclusion de Casino, tous ses
entretiens ont eu lieu à Paris, essentiellement à Neuilly-sur-Seine
et à Boulogne-Billancourt. "Là-bas, que j'habite à Montreynaud
ou à Bel Air, c'est égal, je suis avant tout stéphanois. Ils
me proposent des salaires intéressants. Mais je ne veux pas.
Je préfère travailler à Saint-Etienne. Ici, même à 11 000 francs
par mois, je prends². Kamel se refuse à faire comme certains
de ses voisins : donner une fausse adresse, en centre ville,
pour avoir une meilleure chance. Avoir une chance d'aller à
l¹entretien et prouver ses compétences. "Même les mecs
qui veulent s'en sortir par les études sont bloqués. Montreynaud,
c'est la parfaite illustration de la reproduction sociale de
Bourdieu. On naît pauvre et on finit pauvre..." Pour
lui, c¹est clair, si le délit de faciès tend à se réduire, un
nouveau délit émerge, aussi injuste,"le délit de quartier".
Le 21 février, après 6 mois de recherche, Kamel a signé
un contrat de travail... à Paris.
"Le Marais aussi avait une mauvaise réputation à Saint-Etienne,
rappelle Abdel Hammouche, chercheur au Cresal, le Centre de
recherche en sciences sociales de l'Université jean Monnet,
mais les gens trouvaient quand même du travail grâce à Creusot-Loire".
Montreynaud n¹a pas de Creusot-Loire. Il n¹a qu¹une zone franche.
Un échec cuisant : "118 entreprises sont implantées sur
la zone franche, soit 364 emplois transférés. Parmi les 236
emplois nets créés, seulement 60 profitent aux habitants du
quartier", confirme Robert Karulak. Pum plastiques, Desjoyaux,
ça ne fait pas tout. Les entreprises qui ont besoin d¹ouvriers
spécialisés ne sont pas sûres de trouver la main d'oeuvre qu'il
leur faut sur place. Sur les 35 millions de francs de budget
consacré à Montreynaud pour les trois années 1999-2000-2001
(grâce notamment au fonds européen URBAN) la ville de
Saint-Etienne n¹a consommé que 10 MF ! La municipalité promet
de mettre les bouchés double en 2001.
Pour Abdelkader Belbahri, chercheur au Cresal, le vrai responsable
de la violence urbaine, c'est la politique d'urbanisme des années
70-80. " Quand on a voulu attaquer les problèmes des banlieues
dans les années 80, avec la politique de la ville, on a commis
une erreur. On a inculqué une identité collective qui est vécue
négativement. Dans ces nouveaux quartiers, on a tout simplement
oublié de mettre de l'économique. A présent, c'est trop tard,
on ne peut pas mettre l'économique là où il n'est pas viable".
Quel sort pour les habitants de Montreynaud ? Les jeunes sont-ils
contraints à l¹exil pour trouver du travail ? Kamel aurait-il
raison lorsqu¹il affirme: "C'est pas vrai, l'école
c'est pas l'égalité des chances ."
"Il faut ouvrir le quartier et donner du boulot aux
jeunes, insiste Driss, Ici il y a trop de chômeurs, les jeunes
font n¹importe quoi...Les flics, eux, ils montent , ils provoquent...Et
La mairie ne fait rien."
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Complément
d'enquête : Patrick Françon - Journaliste
Reportage-Photo
: Jérôme Bernard-Abou
Edmond
Hubé : "Après la prévention, la dissuasion"
Lors des municipales de 1995, la présence de Edmond Hubé, ancien
commandant de CRS sur la liste conduite par Michel Thiollière
ne passa pas inaperçu. Elle était le signe de l¹importance accordée
par les candidats et les citoyens aux questions de sécurité.
Cinq ans plus tard, la sécurité est une des préoccupations majeures
des stéphanois
Que
pensez-vous de la loi Chevènement sur les polices municipales
?
C'est une bonne chose car la loi reconnaît enfin les polices
municipales. Mais on attend toujours les décrets d'application
qui permettront aux polices municipales d'avoir un peu plus
d¹espace et d'efficacité sur la voie publique et de soulager
la police nationale du règlement de certaines infractions. Maintenant,
il faut veiller que par les conventions police nationale polices
municipales, le ministère de l'intérieur ne mette pas la main
sur des effectifs qui relèvent des communes et en fasse des
supplétifs.
Quelle
est la politique de sécurité de la ville de Saint-Etienne ?
Dès mon arrivée, par un plan d¹action, j'ai proposé une augmentation
des moyens et des effectifs. La sécurité consiste à rassembler
des hommes et des moyens. Michel Thiollière a accepté de multiplier
les effectifs par 4,5, en les portant à 90. Je pense qu¹on devrait
arriver à 150. La municipalité a consenti beaucoup d¹efforts
matériels à travers la rénovation des locaux de Roannelle, la
rénovation du poste de Léon Nautin, déserté par la police nationale,
la création d¹une brigade équestre (6 cavaliers), la modernisation
et l¹informatisation. Nous avons mis en place notre premier
poste mobile de police, destiné à aller dans les quartiers.
Ce Master Renault permettra de recevoir du public et de patrouiller
en ville. Il sera présent sur certains marchés et notamment
à Terrenoire.
Êtes-vous
favorable à l'armement des polices municipales ?
Ce n'est pas à l'ordre du jour. Mais je n¹ai pas d'opposition
de principe, à condition que l¹armement soit précédé d¹une formation
psychologique, judiciaire et administrative de longue durée.
Il faudrait enfin que la population y soit favorable.
Etes-vous
favorable aux contrats locaux de sécurité ?
C'est
la énième tentative pour faire coopérer les acteurs de la sécurité.
Je reste sceptique quant au fonctionnement du système, car je
n'ai encore jamais vu fonctionner un trio de commandement. A
Saint-Etienne, nous n'avons pas attendu le contrat pour travailler
en partenariat. Je note que l'Etat est en train de passer d'une
police de maintien de l'ordre, à une police de proximité. A
Saint-Etienne, nous avons largement précédé le gouvernement
dans la mise en ¦uvre d'une force de proximité.
Met-on trop l'accent sur la prévention ?
La
prévention est nécessaire et indispensable. Elle devrait se
traduire par une formation civique des parents et du monde associatif.
Après la prévention, il y a la dissuasion. Dans ce domaine,
une police municipale et des agents locaux de médiation sociale
peuvent jouer un rôle de présence comme les sergents de ville
d'autrefois. Après cela, la répression est indispensable pour
faire respecter les lois et règlements de la République.
Les
prochaines municipales vont-elles se jouer sur la sécurité ?
A mon avis oui car il est inadmissible de ne pas régler
ce problème. Il est urgent de rassurer les commerçants et tous
ceux qui ont peur.
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