Pour les flibustiers, c'est ou la fête ou la Famine: A bord des navires
surchargés d'hommes, il est impossible d'emmagasiner des vivres en quantité
suffisante. En conséquence, la faim est une hantise permanente pour l'équipage.
En plus, la nourriture est tellement dégueulasse que les flibustiers préfèrent
manger à la noirceur.
Les «biscuits de mer», fait de farine et d'eau, sont supposés se conserver
des mois. Mais ils sont durs comme du bois et trop souvent bourrés de
vers. Quand à la viande, du porc salé quand il y en a, elle est pourrie.
L'eau se contamine très vite aussi.
Lorsque l'eau manque, les hommes sont obligés de boire de l'eau de mer
ou encore leur urine. Avec pour résultat de gros problèmes de santé et
la mort à plus ou moins long terme. « Le matin sur les dix heures, le
cuisinier met la chaudière sur le feu, pour cuire de la viande salée,
dans de l'eau douce, ou à défaut de celle-ci, dans de l'eau de mer.
En même temps, il fait bouillir du gros mil battu, jusqu'à ce qu'il devienne
épais comme du riz cuit; il prend la graisse de la chaudière à la viande
pour la mettre dans ce mil, et dès que cela est fait, il sert le tout
dans des plats.
L'équipage s'assemble au nombre de 7 pour chaque plat. On fait ordinairement
deux repas par jour sur les vaisseaux aventuriers, quand il y a assez
de vivres; sinon on n'en fait qu'un. On prie Dieu à l'entrée du repas.»
Sur le continent, en territoire ennemi, se nourrir est un problème perpétuel.
Les flibustiers passent le plus clair de leur temps à traquer les troupeaux
de vaches ou piller les plantations pour se nourrir. Et dès qu'ils se
séparent pour aller chercher de quoi manger, ils faut se méfier des embuscades
des milices espagnoles. Sur les navires flibustiers les vivres sont distribuées
à des tables autour de laquelle se regroupent 7 ou 8 hommes. Soit un «corbillon»
de biscuits et un «vaisseau» contenant «deux coups à boire pour chacun».
Quand au pain, on le divise en parts absolument égales sous le regard
attentif de chacun.
Pour décourager toute tricherie, chaque matelot met sa «huppe» ou marque
dans un chapeau, (un fil noué d'un nœud particulier, une plume, ou toute
autre «marque» spécifique à chaque flibustier). Ensuite le chapeau est
bien remué, puis les marques tirées au sort et posées sur un morceau de
pain.
Le matelot récupère alors sa «marque» et le morceau de pain correspondant.
Ces précautions montrent à quel point on se méfie des querelles pouvant
survenir à tout moment parmi un équipage mal nourri. « ...après avoir
erré dans la mer des Antilles sans trouver le moindre navire marchand
à piller, les hommes ont été condamnés à manger les souliers, gants, poches
de cuir, graines de couteau, crottes de rat, graisse de mât , cancrelats
jusqu'à ce que l'équipage réussisse à prendre un grand requin qui fut
incontinent mis à la chaudière... »
Notons aussi que le cuisinier est souvent un matelots qui après une blessure
au combat ne peut plus servir à grand chose d'autre sur le navire. On
le nomme cuisinier mais rien ne garantit qu'il ait la moindre compétence
en matière de chaudrons.
Les escales dans les îles sont toujours bienvenues
Enfin une occasion de trouver de la nourriture fraîche! Les flibustiers
mangent tout ce qu'ils trouvent: petits caïmans (alligator), fous de Bassan,
crabes, fruits sauvages, figues longues (bananes) et bien sûr la tortue
de mer.
Le Rhum
:
Le rhum est la boisson favorite des marins dans les Antilles, ça tout
le monde le sait. Cependant, ils lui trouvaient aussi d'autres usages...
pour améliorer le goût et tuer les germes de l'eau à boire, le plus souvent
croupissante au fond de barils sales. D'où l'invention du grog. Les vaisseaux
de bois sont sombres et humides.
Si on y ajoute la chaleur torride des mers tropicales ce n'est pas long
qu'une véritable puanteur y règne.
Pour lutter contre la vermine et les odeurs, le pont est lavé avec un
mélange de vinaigre et d'eau de mer que les flibustiers remplacent avantageusement,
quand ils en disposent en abondance, par du cognac français.
Une cargaison de rhum fait aussi bien l'affaire.
L'intérieur est désinfecté au souffre et au goudron. On comprend les flibustiers
de préférer l'odeur du rhum!
La Tortue de Mer
:
La tortue est
une aubaine pour les flibustiers.
Retournée sur le dos, elle reste là où on l'a mise jusqu'à ce qu'on revienne
la récupérer.
On peut aussi la garder en vie dans la cale en attendant le jour de la
manger.
En plus, les flibustiers croient la viande de tortue capable de guérir
plusieurs maladies. Mais leur plat favori est le Salmigondis.
Le
Salmigondis
:
Lorsqu'ils descendent à terre ou s'emparent d'un navire marchand bien
approvisionné, les flibustiers sont particulièrement gourmands pour un
plat appelé Salmigondis, un plat très costaud composé d'ingrédients étonnants:
viande de tortue, poisson, porc, poulet, bœuf salé, jambon, canard et
pigeon. Les viandes sont rôties et coupées en morceaux : on les fait mariner
dans un vin épicé auquel on ajoute du chou, des anchois, du hareng salé,
des mangues, des œufs durs, des cœurs de palmiers, des oignons, des olives,
des raisins, et tout condiment disponible.
On assaisonne ensuite d'ail, de sel, de poivre, de moutarde, d'huile,
de vinaigre, et l'on sert avec de la bière et du rhum !
Les
Lézards
:
Le Lézard se prépare «comme une fricassée de poulet», dont le goût est
très semblable à la volaille, sa chair, par sa blancheur, sa tendreté,
son bon goût et sa délicatesse ressemble au poulet.
Les
Ecrevisses
:
On les met à cuire entières dans l'eau avec du poivre, du sel, un bouquet
de persil et des herbes fines. On les retire du feu quand on juge qu'elles
sont un peu plus que de moitié cuites.
On prend les queues que l'on accompagne avec une sauce blanche ; tout
le reste se pile dans un mortier et se réduit en pâte que l'on met avec
du beurre dans l'eau où elles avaient été bouillies, dont on fait le potage...
La
Chasse au Requin "Nos matelots prirent un requin qui depuis deux ou trois
jours ne quittait point le vaisseau ; on eut assez de peine à le mettre
à bord ce poisson, hardi et dangereux, qui dépeuplerait la mer sans la
difficulté qu'il a de mordre ; car la disposition de sa gueule est cause
qu'il faut qu'il se renverse sur le côté pour attraper ce qu'il poursuit,
et ce contretemps donne très souvent le loisir à sa proie de s'échapper.
On trouva dans son ventre tout ce qu'on avait jeté du vaisseau depuis
qu'il nous accompagnait, jusqu'à un marteau du charpentier ; après avoir
bien rôdé autour de nous, il s'en approcha à la fin si près que nos matelots
lui jetèrent un hameçon gros comme le pouce, attaché à une chaîne de fer
et à un bon cordage ; il fut quelque temps à considérer la pièce de lard
qui couvrait l'hameçon, mais comme il vit qu'on la faisait remuer comme
si on eut voulu la retirer, il se lança dessus et avala l'hameçon avec
tant d'avidité qu'il engloutit en même temps une partie de la chaîne ;
on tira aussitôt la corde afin que la pointe de l'hameçon s'accrocha,
et ce fut pour lors que nous eûmes du plaisir à voir les élans et les
efforts qu'il faisait pour se délivrer ; quand il fut presque hors de
l'eau on lui jeta une corde avec un nœud coulant qui le serra à la naissance
de la queue, et avec l'aide de palans on le mit sur le pont, où un matelot
lui donna un grand coup de hache sur les vertèbres.
On sala quelques morceaux du ventre pour le vendredi suivant, mais nous
ne le trouvâmes pas bon ; je crois que les dorades, les germons et les
autres poissons que nous avions en abondance nous dégoûtèrent de celui-là.
À notre défaut, les matelots s'en accommodèrent."
Viandes
boucanées
:
Le boucan de tortue se fait au bord de mer et celui de cochon se fait
dans les bois. D'abord il faut faire tuer son cochon, le flamber pour
brûler les poils de la peau, et le vider. Puis, il faut préparer deux
brochettes.
On prend pour cela du bois de la grosseur d'un doigt, on enlève l'écorce.
Une des brochettes doit avoir une fourche aux extrémités pointues, l'autre
seulement une pointe. Le boucan lui-même est formé d'un gril de bois sur
lequel le cochon tout entier doit cuire.
On coupe pour cet effet quatre fourches de la grosseur du bras et d'environ
quatre pieds de longueur, on les plante en terre de manière qu'elles fassent
un carré long d'environ cinq pieds sur trois de large.
On pose des traverses sous les fourches et on arrange sur les traverses
les gaulettes qui font le grillage. Tout cela est bien amarré avec des
lianes.
C'est sur ce lit, ou sur ce gril, qu'on couche le cochon sur le dos, le
ventre ouvert, écarté autant qu'il est possible et retenu en cette situation
par des bâtons, de peur qu'il ne se referme par l'effet du feu de bois
qu'on met dessous. Il faut aussi avoir coupé du bois qu'on brûle et réduit
en braises avant d'être mis sous le boucan.
On transporte les braises avec des écorces d'arbres en guise de pelle,
car on veut imiter la manière de faire des boucaniers qui n'utilisent
pas d'outils de métal.
Le ventre du cochon est rempli de jus de citron avec quantité de sel,
de piment écrasé et poivré, parce que la chair du cochon, trop délicate
au goût des boucaniers, a besoin d'être relevée. Tandis que le cochon
cuit, on peut manger autre chose si on en a.
Cependant, dès qu'on touche au cochon, on ne peut plus manger autre chose.
Aussi, il est recommandé de boire son vin et son eau sans les mélanger.
Ce qui serait opposé à la simplicité des mœurs boucanières.
Certains vont chasser pendant la cuisson du cochon.
S'ils rapportent du gibier, on le plumait et le jetait selon sa nature
dans le ventre du cochon, ou on le passait dans une brochette qu'on plantait
dans les braises. Ceux qui revenaient de la chasse sans avoir rien pris
étaient priés d'y retourner ou punis en leur faisant boire autant de coups
que le meilleur chasseur avait rapporté de gibier.
Une feuille de «cachibou» attachée aux quatre coins par des lianes, ce
qui lui donnait une allure de tourtière, servait à y déposer la sauce
qui est dans le ventre du cochon.
Chacun y ajoute du citron, sel, poivre, et piment selon ses goûts.
On sert la viande en la coupant alors que le cochon repose toujours sur
le dos au-dessus du feu.
On coupe de grandes tranches sans entamer la peau, afin de ne pas perdre
la sauce. Le point essentiel d'un tel mets, est de boire souvent.
La règle veut et la sauce y invite. Aussi, les cochons sauvages d'Amérique
ne se nourrissent point d'ordures : ils ne vivent que de fruits, de graines,
de racines, de canne à sucre et autres choses semblables, à quoi il faut
attribuer la délicatesse et le goût de sa chair.»
Des estomacs qui crient justice
:
Si les flibustiers s'empiffraient quand ils le pouvaient, c'était aussi
une révolte contre les riches de leur époque. Parce que le marin «honnête»
était mal nourri par des maîtres très bien nourris.
Pour se faire une idée de l'injustice des conditions de vie sur les navires
«honnêtes», dites-vous que pendant que les matelots se nourrissent de
biscuits durs comme du bois et de platées souvent infectes, ce n'est pas
du tout la même chose du côté des nobles, bourgeois et officiers. Ceux-là
ont même jusqu'à un jardin à bord.
Et malheur au matelot qui leur vole une feuille de chou! « ...nous avions
bonne provision de betteraves, de pourpier, de cresson et de cornichons
confits, et deux grandes caisses de chicorée sauvage en terre, qui étaient
gardées jour et nuit par une sentinelle, de peur que les rats et les matelots
n'y fissent du dommage.
Quand nous eûmes mangé une de nos caisses, nous y semâmes des graines
de laitues et de raves, que nous eûmes le plaisir de voir croître et manger
avant d'arriver à la Martinique.
C'est ainsi que nous eûmes toujours de la salade, rafraîchissement qui
n'est pas indifférent dans les voyages de long cours. » Quant aux repas
dans la cabine d'un capitaine de navire marchand, voici en quoi il tenait,
toujours pendant que les matelots grugeaient leurs biscuits de mer. "Nous
étions douze à sa table, parfaitement bien servie et avec beaucoup de
propreté.
Dès le premier jour, il nous marqua nos places et nous pria de ne point
les changer, afin que les domestiques nous rendissent toujours les mêmes
serviettes, que l'on changeait deux fois la semaine pour déjeuner, on
servait ordinairement un jambon ou un pâté avec un ragoût ou une fricassée,
du beurre et du fromage, et surtout du très bon vin, et du pain frais,
matin et soir.
L'on dînait après que les pilotes avaient pris hauteur, c'est-à-dire qu'ils
avaient observé la hauteur du soleil à midi (pour faire le point sur leurs
cartes marines).
Le dîner était composé d'un grand potage avec le bouilli, qui était toujours
une volaille, une poitrine de boeuf d'Irlande, du petit salé, et du mouton
ou du veau frais, accompagné d'une fricassée de poulets, ou autre chose.
On levait ces trois plats, et on mettait à leur place un plat rôti, deux
ragoûts et deux salades; pour le dessert nous avions le fromage, quelques
compotes, des fruits crus, des marrons et des confitures.
Le souper était à peu près comme le dîner; une grande soupe avec une poule
dessus, deux plats de rôti, deux ragoûts, deux salades et le dessert;
et comme nous étions bien pourvus de liqueurs, on ne les épargnait pas.
Le capitaine en avait deux caisses de vingt-quatre bouteilles chacune"
Une friandise sanglante Les flibustiers français, surtout ceux qui furent
boucaniers auparavant, ont une habitude qui dégoûte leurs confrères anglais.
Ainsi, après son attaque sur Puerto Principe, Morgan fait abattre des
centaines de vaches et de boeufs. La viande, fumée et salée, doit approvisionner
les navires pour une prochaine expédition. Mais il s'en est fallu de peu
qu'Anglais et Français s'entre-tuent… pour une histoire de moelle de boeuf
!
C'est que les flibustiers français adorent briser les os des bêtes fraîchement
tuées afin de sucer la moelle encore chaude.
Ce faisant, ils se badigeonnent le visage de sang, salissent leurs vêtements
d'une manière si dégueulasse que cela donne des haut-le-coeur aux autres
flibustiers qui ne sont pourtant pas des enfants de coeur.
En un mot, si pour les Français c'est là une friandise digne de la meilleure
gastronomie, pour les Anglais c'est un comportement bestial et cannibalesque.
Avec le caractère qu'on leur connaît, les camps se forment vite, quelques
coups de couteaux se donnent.
Ils sont près de mille sur le point de s'entr'égorger quand Morgan intervient.
Il réussit à calmer les esprits, condamne le flibustier qui le premier
en a frappé un autre.
Et surtout, rappelle à tous qu'il vaut mieux partir à l'attaque d'une
autre ville espagnole que de discuter cuisine !